Van -> Isphahan [ caillasse et tissus ]

Allez, on sort d’ici. Les émeutes journalières ont échauffé les esprits, et on veut pas servir de cible facile. A la sortie de Van, on mesure l’ampleur des manifestations: restes de barricades, pavés, parpaings… sont autant d’obstacles entre lesquels nous sillonnont avec nos vélos.

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Normalement ça devrait être calme maintenant. On verra, il reste encore une petite ville à passer. 20 km à peine plus tard, une camionnette s’arrête à notre hauteur. Il nous propose de mettre les vélos dans la camionnette, et d’aller avec lui jusqu’en Iran. On accepte avec plaisir, ça nous permettra de sortir rapidement de cette fournaise » et dans une camionnette kurde s’il vous plaît!

Arrivés au sommet d’une colline, on aperçoit Özalp, la dernière ville située sur la route principale avant l’Iran. Il y a plusieurs nuages de fumées qui s’en dégagent. Très vite on voit un hélicoptère survoler la ville a très très basse altitude, il cannarde plusieurs quartiers avec des bombes lacrymogènes. La traversée de la ville ne doit pas faire plus d’1 km, mais de nombreux débris et un groupe d’une centaine de manifestants bloquent la route. Plusieurs voitures iraniennes attendent sur le bord de la route pour pouvoir passer. On attend. L’hélicoptère passe à nouveau, encore un nuage de gaz lacrymogène. On arrive à passer la première barricade, on roule sur le bas coté en suivant un taxi. On s’arrête en attendant de voir ce qu’il advient du taxi qui se dirige vers la centaine de manifestants. Ça a pas raté, ils se sont rués sur lui, ouvert toutes les portes pour voir ce qu’il y a dedans. Ok on attend là, à côté de la voie ferrée. Christelle et moi on s’assied. Notre chauffeur, lui, va lancer des cailloux sur les militaires. A ce moment là, j’avoue, on en mène pas large. Assis sur cette voie de chemin de fer, à côté des vieux, pris entre les manifestants et les militaires, et observés par les kurdes qui sont « positionnés » sur les montagnes qui encerclent la ville. Les manifestants partent dans une autre direction, il y a un blindé à caillasser. On en profite pour attraper notre chauffeur et filer. 30 min plus tard, un douanier nous souhaite la bienvenue en Iran.

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Les montagnes sont énormes, et même si on ne voit plus que ça depuis plusieurs semaines, on reste toujours autant subjugués par tant de grandeur. Le soir on arrive à Khoy, ou Christelle se fera tout de suite remettre à sa place après avoir serré la main d’un homme (avec qui on a bu plusieurs thés et qui était super sympa avec nous) : you know, it’s not good for Islam. Hum.

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Puis direction Salmas, ça nous fait vraiment bizarre de croiser tous ces portraits de l’ayatollah Khomeni assis sur nos vélos. Oh Christelle! Tu te rends compte, on est en Iran! A salmas, on demande où on peut camper, 1 prof d’anglais nous accompagne jusqu’au parc en plein milieu de la ville. Euh vraiment? Yes yes, it’s the parc for the guests! Ok, alors on plante la tente à côté des femmes en chador qui font leur sport. On verra bien. Ça n’a l’air de choquer personne. Seul un policier viendra nous reveiller pour contrôler nos passeports en plein milieu de la nuit. Il s’assurera qu’on n’ait pas froid, et que les vélos soient bien cadenassés.

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Le lendemain de nombreux hommes viendront nous demander si on a mangé, si on a besoin de quelque chose et si tout va bien. Tout le monde est curieux de savoir d’où on vient et ce qu’on fiche là. On se fera même inviter à passer une nuit dans une famille, qui sera aux petits soins avec nous. Seul le fils, me laissera un mauvais sentiment. Sentiment qui se révélera être juste quand, 2 jours plus tard, une fois à Tabriz, je remarque qu’il me manque 200 $ dans le sac. Pour nous c’est beaucoup, pour eux c’est énorme. Faudra qu’on fasse vraiment gaffe maintenant, nos cartes de crédit sont inutilisables en Iran, depuis que le pays a été coupé du système bancaire international.

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A Tabriz on est accueillis par un couple rencontré sur warmshower (équivalent couchsurfing mais pour cyclistes). On fait 1 petit tour dans la ville qui est vraiment sympa, avec un bazar classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Malgré ça, ça reste un vrai bazar, où tout le monde vient, contrairement à celui d’Istanbul qui ne vend plus que des chinoiseries pour touristes.

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Ces jours à Tabriz ont été vraiment surprenants, on a pu observer l’Iran dans la rue et l’Iran a l’intérieur, dans la sphère privée. Tout le monde semble mener une double vie. Une fille à Téhéran nous dira que cette double vie est comme une maladie qui ronge ce pays, et que ça ne pourra plus durer bien longtemps.

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Téhéran justement, on y va en bus, on se fait un peu des vacances quoi! On atterri chez Razi, un couchsurfeur qui met à disposition une cave pour dormir, et qui accueille de nombreuses rencontres ayant pour thème principal la poésie perse ou la pratique de langages étrangers. On aura même eu l’honneur de tenir une rencontre « parlons français ».

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Plus qu’un simple endroit pour discuter, c’est un vrai espace de socialisation qui a été créé là. Tout est mis en place dans ce pays pour séparer les hommes et les femmes: séparation des sexes dans le bus, le métro, à l’école, à l’université… Évitons les tentations impures!

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Après plusieurs jours passés à Téhéran, on file à Kashan. Toujours en bus. Oui c’est encore les vacances, mais avant ca on pédalé plus de 5 mois alors hein!

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Là on entre dans le vrai du tourisme iranien, la ville est bourrée de sites anciens, de maison traditionnelles et c’est vraiment superbe. Mais nous qui pensions un peu faire exception en allant en Iran, on déchante vite! Ça parle français, allemand, anglais, polonais a tous les coins de rue. Et ça se sent, les rencontres désintéressées avec les iraniens se font rares.

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Marre du bus, on veut pédaler! Oui mais ici c’est le désert, alors on prend beaucoup d’eau avec nous, le soleil tape fort, je vois mes avant bras prendre des couleurs à vue d’oeil. C’est avec peine qu’on arrive à nos 20 km. On observe la carte. Un camion s’arrête, un vieux Benz vert d’au moins 30 ans. « Isphahan, Isphahan !  » Bale (oui). Il nous montre son camion et nous fait comprendre qu’on doit mettre les vélos dedans. Moi je veux rouler maintenant, j’ai l’impression de n’être qu’en ville depuis qu’on est en Iran. Je regarde Christelle qui tire la langue tel un chien déshydraté. Ok on met les vélos dans le camion! 3h pour faire ce qu’on aurait fait en 3 jours.

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L’ambiance dans le camion est bonne enfant, tchai en veux tu en voilà, musique perse à fond sur hauts parleurs de mauvaise qualité, chauffeur chanteur, et dehors le désert de temps à autre transpercé par des montagnes venues du centre de la terre. La route passe par l’ancienne route de la soie. On croise de nombreux caravansarails, ces abris qui servaient aux marchands d’un autre temps.

Notre chauffeur nous dépose sur l’autoroute en dehors de la ville d’Isphahan. Juste après le panneau interdisant les piétons, les motos et les vélos. 200 m plus loin une voiture de police. On sera vite fixés. Le passager sort et nous fait signe de nous arrêter: whele you flom? France! Ohhh, and Felance to Iran bicycle? Yes! Ohhh welcome to Iran! Il nous dira juste de bien rester sur le côté. 300 m plus loin une autre voiture de police. Ils nous arrêtent aussi et nous demande si on a pas vu les panneaux? On répond juste que si mais que leurs collègues ont dit ok. Bon ben si les collègues ont dit oui…

Il va faire nuit et on ne veut se retrouver dans le centre maintenant. On suit un panneau avec une tente qui pour nous veut dire camping. On arrive dans le parc mais apparemment c’est interdit de camper dans celui-là. Et en plus il fait froid. J’essaie d’expliquer la situation, qu’on a des sacs de couchage et que pour moi 15 degrés c’est pas froid et c’est pas un problème non plus de dormir dans la tente. Christelle a disparu, elle est partie avec une petite fille. Je me retrouve tout seul avec une dizaine de bonhommes qui sont surtout curieux. L’un d’eux parle anglais. Je lui explique le baratin habituel, il semble impressionné. Je m’excuse de ne pas parler le perse, j’ai pas encore eu le temps d’oublier le turque. Il m’explique que le perse est une langue très difficile, mais que si j’ai pu arriver là à vélo, je peux apprendre le perse très aisément.

Bon finalement l’un des gardiens accepte que l’on campe derrière sa cabane, mais tout doit être rangés à 6h du matin pour pas que le chef ne voit quoi que ce soit. Hum… Christelle revient avec la petite fille, on est invités à dormir chez elle, avec sa petite soeur et sa maman. Le papa est mort.

Pour une fois, ce sera moi qui sera mis de côté, elles ne parleront qu’avec Christelle. Même si la barrière de la langue était forte, on s’est vraiment sentis biens avec eux.

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On trace vers le centre ville, un réceptionniste nous interpelle dans le centre pour nous proposer une chambre. On m’avait parlé de cet hôtel, un des moins chers de la ville. Je fais le désintéressé avant de lui demander le prix: 600 000 rials la nuit. Ok on prend. On n’avait pas envie d’utiliser couchsurfing, envie d’être un peu seuls.

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Rq 1 : la monnaie utilisée est le rial iranien. 41 000 rials équivalent à 1euro (le jour où on a changé, parce que les taux de change subissent de grosses variations). Vu que c’est pas assez compliqué comme ça, ils ont introduit le toman, qui équivaut à 10 rials. Mais le toman n’existe pas vraiment, c’est juste une manière d’énoncer les chiffres. Par exemple, si on me demande 50 000 toman, je dois payer 500 000 rials. Ça demande un temps d’adaptation mais on s’y fait. Le plus compliqué c’est de se trimballer avec des liasses de 5 ou 6 millions en coupures de 50 000. Mais ici avoir une grosse liasse de billets ca ne signifie pas avoir beaucoup d’argent.

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Hier après midi, quand on a voulu sortir en ville, on a vu des gens courir dans l’autre sens. On s’arrête, on écoute. La foule s’ouvre, on voit des policiers en moto cross sur les trottoirs, qui frappent des gens à coups de matraque. Un gérant d’hôtel nous attrape et nous fait rentrer. On lui demande ce qui se passe, il nous dit que c’est la révolution contre le gouvernement, que les gens n’en peuvent plus. On attend 10 min puis on sort, ça c’est calmé. On lira plus tard qu’il s’agissait de manifestations contre les attaques à l’acide. 3 femmes ont dernièrement été attaquées à l’acide a Isphahan, car leur Hijab n’était pas « conforme ». A côté de celà, le gouvernement est en passe de voter des lois permettant aux citoyens qui veulent défendre les bonnes moeurs, une plus grande marge de manoeuvre…

9 réflexions sur “Van -> Isphahan [ caillasse et tissus ]

  1. Quel régal de lire vos aventures. Vous avez l’air en forme et Christelle tu as un sourire qui réchauffe la grisaille du nord de la France. J’ai hâte de lire la suite de votre périple. Prenez soin de vous.

  2. toujours sympa d’avoir de vos nouvelles, merci de partager. ça à l’air chouette l’Iran !
    ici pas de neige Thomas il fait 20 °C quand il y a du soleil, t’as rien loupé pour l’instant 😉

  3. Eh bien, vous semblez donc bien arrivé en Iran 😉 Je découvre votre site (.com, pas .fr comme vous me le disiez dans votre email) et je constate que le monde change bien vite! En lisant uniquement cet article, je ne reconnais rien de notre périple d’il y a quasi 3 ans hormis l’accueil des habitants (et le vol des 200$ qu’on a aussi vécu, mais on soupçonne d’autres européens).
    Aaaaaah l’agréable Van, la paisible Özalp et la calme Esfahan… mais où sont-elle? Mais bon, comme vous avez lu notre blog, vous avez dû le sentir.
    Allez, bonne route (magnifique Sud du Fars, avec Loïc) et surtout bon appétit en Inde, bande de veinards! 🙂

  4. Ayant quitté l’Iran depuis quelques heures ,nous pouvons enfin ouvrir votre blog…voyageant de manière plus bourgeoise;),nous avons vu un Iran plus paisible mais sans doute moins réel….en route pour l’Arménie et la Georgie nous vous donnons rendez vous a Málaga
    Claudine et Pierre ( Tabriz ,mosquée bleue et Teheran ,musee des joyaux de l’ex couronne 😜)

  5. … en vous lisant c’est tout simplement le dépaysement complet !! Bravo pour votre voyage. Une grande aventure avec de belles rencontres ! Le pied quoi !

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